Par Jérôme Clément
L’œil, grand ouvert, d’un homme noir ou d’une femme noire, sur un fond noir, et qui fouille l’âme de celui qui regarde et est, en fait, regardé.Les photos d’Antoine Schneck ont ceci de particulier qu’elles nous transforment de spectateur en sujets du sujet. L’œil du photographe, par photo interposée, nous bouleverse. Tous ces visages, hors contexte social et familial, juste présentés pour ce qu’ils sont, des hommes et des femmes, ornés de bijoux, drapés dans leurs étoffes, maquillés comme à la parade, sont nus puisqu’ils échappent à toute convention sociale. Seul le noir déshabille vraiment. Entre eux et nous s’installe l’indispensable lien d’un être humain à un autre. Nous aussi sommes nus devant eux, face à cet œil qui n’en finit pas de nous interroger sur ce que nous sommes, nous qui les observons comme des étrangers alors que nous sommes, aussi, des étrangers.
J’ai rencontré Antoine Schneck grâce à ce regard, grâce à ces visages. Ils m’ont tellement frappé que je suis devenu collectionneur et que, depuis lors, je suis le travail de ce grand photographe. J’ai découvert qu’il pouvait s’intéresser aussi à des personnages figés, posant de plein pieds dans leur tenue personnelle. Il préfère souvent la pose à l’instantané, comme si l’immortalité du temps l’intéressait plus que l’immédiateté de l’instant. Son regard peut s’arrêter aussi sur des bibliothèques, des lieux familiers, qui disent tout de celui à qui elles appartiennent.
Sur ces photos d’armure, d’uniforme, de scaphandre, il n’y a plus d’être humain. Mais leur absence nous dit aussi beaucoup de ces hommes, morts au combat, peut-être, et dont il ne reste que la peau sociale, ces oripeaux de leur statut de guerrier, surement temporaire, mais qui les a entrainés vers la mort.
L’imagination est saisie par le vide, derrière l’éclat de l’acier ou le décor militaire mis en scène à l’Arc de Triomphe.
Cet apparat cache l’inanité de cette profusion de décors militaires qui parvient mal à dissimuler les horreurs de la guerre et tous ces disparus dont seules ces traces dérisoires subsistent.
Les photographies d’Antoine Schneck nous frappent par leur beauté plastique. Ce sont des œuvres d’art. Elles nous racontent aussi son histoire, lui qui s’attache à ces hommes et à ces femmes, à leur tenue, à leur maintien, qu’il s’agisse de ces personnages africains magnifiques, ou des guerriers disparus dans la mémoire des temps. Les uns sont bien vivants et nous questionnent de leur pupille acérée, les autres sont morts depuis longtemps et nous interpellent de leurs restes exhibés dans les musées ou les lieux de mémoire.
Chacun cherche dans une œuvre d’art sa propre histoire, ses propres références et projette ce qu’il est, fantasmes ou doutes, interrogations ou certitudes. Je connais surtout Antoine Schneck par son travail. S’est établi avec lui un mode de communication aussi riche qu’une conversation. Il me permet des interprétations personnelles, sans doute différentes des siennes, mais n’est-ce pas là le rôle de l’artiste ?
Un questionnement sur l’autre, mais aussi sur soi-même.